Les lieues et les siècles ?
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Avant toute chose, quel sens donnez-vous à « rite »
et à « universel »
Chapitre 1 – Savez-vous pourquoi, au fond,
Vous aimez vivre le rite ?
· Où il est question de plaisir et d’obéissance,
d’amour et de haine.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 2 – Aimez-vous prendre la parole en
tenue ?
· Du silence et des mots pour mieux se connaître,
et le monde avec.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 3 – N’auriez-vous pas envie, de temps en
temps, de transgresser les règles ?
· A propos de rébellions punissables sèchement.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 4 – Vous sentez-vous attiré par les grandes
et belles histoires ?
· Vers les plénitudes mystérieuses qui élèvent
votre esprit.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 5 – Quel mythe préférez-vous ? Je vous dirai
qui vous êtes !
· D’un meurtre qui transporte d’aise les assassins.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 6 – Vous connaissez-vous mieux, vous même,
grâce aux symboles ?
· Dans un monde de symboles humains, éloignés
de la nature.
· Avec trois mises en pratique.
Chapitre 7 – Quelles valeurs sont-elles, pour vous,
universelles ?
· De l’illusion du progrès, à la grandeur d’Antigone.
· Avec trois mises en pratique
Avant toute chose,
quel sens donnez-vous à « rite » et à « universel » ?
Oui, je vais répondre à votre question. Bien sûr, je ne peux me lancer dans l’interrogation de ce livre : "Les rites sont-ils universels ?" sans avoir, auparavant, délimité le périmètre que je compte traiter. Ni trop petit, ni trop grand.
D’abord, je souligne que le titre sous-entend qu’il s’agit des rites maçonniques, bien entendu, et non des rites de passage, famille à laquelle ils appartiennent[1].
Certains de mes confrères donnent au concept « rite » une extension très large. Ils incluent, non seulement les rituels[2], mais traitent surtout, de l’histoire des rites : RF, REAA, Emulation, York, RER, de leur orientation, de l’organisation des obédiences. Par exemple : le Rite écossais est-il, comme parfois on le dit, plus symbolique que le Rite français ; est-il estimé faire le lit de la laïcité ? Ces auteurs abordent, aussi, les philosophies supposées qui les sous-tendent : conception du développement de l’Homme, choix éthiques, empreintes culturelles. Non, je ne retiendrai pas cette manière de définir les rites ! Ne nous emmènerait-elle pas beaucoup trop loin, dans un très grand nombre de pages qui excèderait le contrat passé avec vous ? Et surtout, tant de livres ont été écrits en ce sens. Vous-même, n’avez-vous pas eu l’occasion de parcourir un de ces nombreux et souvent excellents ouvrages historiques ? Je laisserai à votre discrétion tout ce qui ressort des orientations, de la philosophie et surtout de l’histoire[3].
On peut aussi, à l’inverse, avoir une lecture restreinte du mot « rite ». Il s’agit alors de tel ou tel rituel, dans telle ou telle circonstance. Par exemple, le rituel d’élévation au degré de Maître, au rite écossais rectifié. Du coup, ne trouvez-vous pas que la maille est trop petite, si l’on veut embrasser la question de l’universalité ? D’autant plus, que sous le même vocable, fourmillent les variantes. Combien n’y a-t-il pas de versions du Rite français, appelé rétabli, moderne, ancien, traditionnel… ? Avec tant de recouvrements, de chevauchements et d’interprétations, que l’on ne peut distinguer les formes spécifiques. Flottements que j’estime, par ailleurs, tout à fait passionnants, car ils déblaient les grandes tendances de l’évolution, et laissent voir, à l’œil averti, ce que pourrait devenir la Maçonnerie de demain. Trop étroite, cette surface de compréhension ; elle nous contraindrait à examiner chaque variante. Cela n’interdirait-il pas un minimum de généralisation, auquel convie la question qui intitule l’ouvrage ?
En bref, selon la question posée, je pourrai élargir le spectre, aux rites de passage, voire aux rites religieux, les cultes, quand la comparaison avec les arcanes maçonniques se révèlent pertinente et éclairante. Sous le vocable « arcane », je regrouperai, toujours, ce que nos anciens textes appellent les « mystères » ; à savoir, le rite + les mythes + les symboles.
Une dernière précision enfin. De quels rites vous entretiendrai-je ? Pas de tous ; au bas mot, il en existe une bonne vingtaine. Pas même un échantillon, celui des rites les plus répandus sur le globe. Je prendrai essentiellement, en ligne de mire, les rites qui se pratiquent en France, qui comptent au moins un millier d’adeptes. Néanmoins, je ne laisserai pas de côté le Rite d’York, comme le Standard d’Ecosse. Je ne négligerai pas, non plus, le Rite Émulation, mais sans m’y attarder, puisque sa plus forte expression est anglo-saxonne. Pas plus que je n’oublierai le Rite de Memphis-Misraïm et le Rite opératif de Salomon. J’aurai en tête, surtout, le Rite français, le Rite écossais ancien et accepté, le Rite écossais rectifié. Cela étant dit, comme je serai amené à prendre une certaine hauteur, par rapport à l’expression de chacun de ces rites, ce que je vous proposerai, comme réflexions et choix, s’inscrit dans l’ensemble des rites, tel qu’il se jouent en France. J’écrirai, alors, le rite. Et, ainsi, j’espère que tout lecteur sera interpellé. D’ailleurs, ce livre n’a justement pas une vocation universelle !
« Universel » ? L’autre terme de la question. Je vous propose d’entendre, par là, deux sens. Le premier touche au lieu, à l’espace. En l’occurrence, ce sont tous les pays qui sont concernés. Cependant, je posera souvent la question suivante : tel élément du rite est-il universalisable ?. C’est pourquoi nous nous interrogerons : Les rites ont-ils des chances de s’implanter, ou de se développer dans d’autres pays que la France ? Auraient-ils la même force de persuasion, le même attrait, voire la même efficacité que dans notre pays ? Le second sens tient au temps. Il s’agira résolument d’une version actuelle du rite. Je considérerai que les modifications, qui ont pu se faire jour pendant ce temps, n’altèrent pas une vue globale, étendue sur un bon siècle[4].
En résumé, on entendra par « rite », les rituels joués en France, depuis une bonne cinquantaine d’années. Avec leurs symboles, leurs mythes et la morale qui y est déclarée et prescrite[5].
Notre promenade songeuse répondra à sept questions, que vous pourriez-vous poser, en vous interrogeant sur le titre. J’espère qu’effectivement, elles seront pertinentes. Et j’y répondrai en un ou plusieurs paragraphes.
A la fin de chacun des chapitres, je vous proposerai trois conseils pratiques de mise en œuvre des opinions qui ont été émises. Puis, l’ouvrage se clora par une liste de propositions. Elles vous permettront de déterminer votre réponse à la question-titre directrice : Les rites sont-ils universels ? Parce que l’essentiel n’est pas tant la lecture que vous aurez menée. Elle vous sera utile si elle vous ouvre sur des opinions et des choix, confirmations, ou découvertes. Pour vous enrichir par vos propres ressources.
Chapitre 1
Savez-vous pourquoi, au fond, vous aimez vivre le rite ?
Ne faisons pas, d’emblée, des
généralités, plus ou moins intellectuelles, sur l’intérêt de vivre avec
plaisir, le déroulement du rituel. Le plaisir est chose immédiatement
ressentie. Voici ce qui est intéressant :
quels sont les motifs qui vous
poussent, ainsi, à profiter du déroulement d’une tenue ? Passons en revue
ces motifs, car cela nous permettra de nous demander, à chaque fois, si
l’avantage relevé est susceptible d’être éprouvé de manière universelle.
Vous sentez-vous apaisé, grâce au rituel ?
Bien sûr, on peut avancer, en première approche, cette déclaration du cœur : cela délasse, car les soucis et les tracas ont tendance à filer dans la nuit. Grâce au rituel, toujours le même, l’esprit se détend car il n’est perturbé par aucune surprise, qui pourrait nuire au bien-être. Et même quand les Frères, les Sœurs prennent la parole, on est à peu près certain de ne pas être dérangé, encore moins agressé. Bref, on n’est pas sur le qui-vive. Vous est-il arrivé, un soir, de vous sentir un peu somnolent sur votre colonne, l’esprit un peu ailleurs, les amarres larguées ? Si oui, ne vous en étonnez pas. C’est peut être la fatigue de la journée, et vous avez besoin de vous reposer. La quiétude du lieu et du climat s’y prêtent bien. Et vous souhaitez mettre les problèmes de côté. Pas attribuable à l’attente des agapes, si elles prennent place après la tenue. Et vous avez alors observé que ce n’était pas dû non plus à l’ennui. En fait, on le sait, l’aspect litanique des phrases, qui se répètent de tenue en tenue, a un pouvoir relaxant sinon légèrement hypnotique. Comparez cela à des phénomènes très connus, comme la prière en chapelet, ou la récitation inlassable des mantras, le murmure en boucle des noms de dieu. C’est du même tonneau ! Nous pointons là, une des raisons qui fait que les armes sont rangées au vestiaire. Alors, les apports des uns et des autres ne peuvent-ils pas s’élever dans la Loge, dans une atmosphère feutrée et détendue ? Cet effet du rituel, sur la qualité douce de la prise de parole, est trop souvent oublié. Pourtant, diminuez le rituel jusqu’à une mince pellicule de mots prononcés sans solennité ni conviction, alors les échanges risquent d’être vifs, voire de chauffer. Bien sûr, je n’ignore pas qu’il y a, dans un groupe-Loge des tensions qui amènent parfois des disputes et, cela peut arriver, des éclats de voix. Dans ce cas, il est bon que le vénérable « joue du rituel », en rappelant les fondamentaux du respect et de la modération. Sans surtout intervenir sur le fond en litige. L’oasis de cet office est une garantie, pour les colonnes, de la confiance et de la détente. Mais, dans la réalité, les tenues délassantes ne sont–elles pas la règle ? Sinon, quant à moi, je me demande si je resterais dans une Loge qui n’a pas cette vertu. Et vous ? Cette agréable sensation fait-elle que la répétitivité des phrases du rituel aurait le même effet à Singapour et à Recife ? Je le crois vraiment. D’ailleurs, j’ai évoqué ce phénomène avec d’autres récitations en ritournelle comme les prières. Un rituel trop dépouillé, et hâtivement lu, manquerait à ce but d’universalité.
Eprouvez-vous du plaisir à vivre le rituel ?
Une autre explication est avancée, qui expliquerait le plaisir à s’imprégner du rituel. On la trouve dans les Loges à orientation symbolique, initiatique ; moins dans celles qui se donnent une vocation sociétale. A l’ouverture des travaux, les adeptes[6] considèrent qu’ils ne sont plus dans le monde profane. Ils le quittent pour pénétrer dans un espace/temps sacré ; un lieu ordonné par les points cardinaux, entre midi et minuit. Il n’y a guère, d’ailleurs, le Grand Orient de France posait cette question aux loges : "Entrons-nous dans le sacré ?". Or, vivre cet état prédispose, en effet, à un changement, voire un retournement des attitudes, et, plus loin encore, à une « conversion du regard »[7]. Et cela est éminemment agréable. L’esprit s’élève et accueille le meilleur de soi. Le monde grouillant se transforme en univers ; les mots se muent en parole ; les astres sont des lumières ; les questions se mettent à soutenir la quête spirituelle ; l’individu devient l’Homme. Et l’application, dehors, de ce que l’on a appris dans l’enceinte sacrée, s’appelle le rayonnement. Quoi de plus exaltant pour les esprits, qui aiment aller au-delà et plus loin ? Un Hottentot, un Azéri seraient-ils sensibles à ce dégagement du rituel maçonnique ? Je le crois volontiers. Car là encore, nos rites sont de la même famille que les leurs, sur ce point de l’émergence bienheureuse du sacré ; quel qu’en soit le contenu, par ailleurs. Avec les symboles, mythes et valeurs, que nous découvrirons dans un instant. Le rituel ne fait-il dont pas plaisir ? Voilà deux clés possibles pour comprendre cette sensation. Mais le rite ne se résout pas dans le seul contentement.
Vous sentez-vous soumis au rite ?
Ne dit-on pas souvent, dans notre pays, que l’obtention de la liberté est un des buts de la Franc-maçonnerie ? Elle inaugure la devise républicaine reprise comme acclamation dans beaucoup de Loges. Pour désigner la libération de la servilité, du joug de l’oppression, des chaînes. Avec, selon les sensibilités, la libération tant extérieure qu’intérieure à l’être et qui est, à mon avis, la première à entreprendre. C’est une manière positive de souligner que nous sommes dans un état de soumission permanent, aux contraintes de la société, la loi et les règlements et aux nécessités intimes, les conditionnements et les déterminismes. Ne serait-il pas astucieux d’apprendre aux Frères, aux Sœurs, à prendre une pleine mesure, en toute conscience de cette soumission ? Pour pouvoir mieux en cerner les points faibles et, au besoin, se rebeller, en Homme libre ? Ne proclame-t-on pas : "Un Maçon libre dans une Loge libre" ? Or, de cette astuce, le rituel maçonnique en est une parfaite démonstration. Ne nous met-il pas dans un état de soumission, durant toute la tenue ? Et ce n’est pas le moindre des paradoxes des rites. Ils nous encagent et nous soumettent, mais en même temps, prônent la liberté ! Mais regardons-y d’un peu plus près, avant de nous demander si , dans tout pays et à toutes les époques, les personnes en recherche, acceptent, de bon gré, une certaine soumission dans le rite. En fait, et point n’est besoin d’être érudit, la soumission rituelle semble indissociable du rite proprement dit. Au point même, d’en constituer une caractéristique. Convoquez dans votre mémoire, toutes les formes de dévotion, de rituel, d’adoration, d’invocation, que vous connaissez. Vous admettrez, je pense, que dans tous les cas, le cherchant[8] se soumet, de bonne grâce, au processus.
illustrations : Mucha
[1] Voir Jacques Fontaine - Un autre regard sur les rites de passage. Des Dogons aux Francs-maçons - Dervy 2013.
[2] Ils les laissent un peu de côté.
[3] Parmi les publications historiques, vous pouvez retenir le hors série de La chaîne d’union - Rites maçonniques en France. 2009. Il collecte les meilleures signatures.
[4] Je me réfère aux éditions suivantes : Rite Émulation, GNLF 2005 – Rite français actuel (dit « Groussier »), 2009 – Rite écossais, ancien et accepté GLNF 2004 – Rite écossais rectifié (Willermoz), 1882 – Rite York (Duncan), 1860 – Rite moderne français, 1786 – Rite opératif de Salomon, 2009.
[5] Dans les textes rituels proprement dits, mais aussi, dans les Constitutions, les instructions des degrés.
[6] « Adepte » - J’emploie ce mot sans aucune connotation religieuse. Dans le sens du dictionnaire, celui qui est choisi par le G.O.DF dans sa Constitution.
[7] Michel Barat – La conversion du regard. Paroles vives – Albin Michel.
[8] Qu’il vise la réalisation personnelle ou l’amélioration collective.